La forme d’un bureau (2018)
Commande du CAUE Gironde (Conseil d'Architecture, d'Urbanisme et de l'Environnement de la Gironde) à l'occasion du déménagement dans leurs nouveaux locaux.
Le déménagement de son bureau est la clôture d’une partie de sa vie au travail. Les dossiers, les objets personnels, les souvenirs, amers, joyeux ou signifiants des combats, se confondent avec une mémoire du lieu. Tout est trié, jeté, archivé, plié, par les acteurs de l’institution qui tournent la page. Une multitude de petits signes résistent encore ici et là. C’est à ce moment là, avant que l’on ne les oublie définitivement et précédant l’écriture de la page suivante, que je frappe à la porte de leur bureau.
L’attente de ce départ est longue et la page lourde à tourner. Quand je les écoute me raconter à quoi ressemble leur bureau, il y a des détours par la géographie de leur histoire dans l’institution. Souvent, la première réponse nie ou minimise l’appropriation du bureau, la banalité l’emporte. Puis réponses après regards, les indices apparaissent dans les mots, puis ils surgissent derrière chaque détail.
Comme un projecteur qui scrute à la fois l’espace physique et mental de ce lieu de travail, je réalise avec eux le tour de leur bureau, comme le tour d’une relation à l’institution. Chaque détenteur d’un bureau me livre par fragments son histoire intime au travail. Ce sont des souvenirs personnels cachés dans une forme symbolique abstraite ou des moments politiques remuants, structurant une pensée critique ou encore des traces de ceux qui les ont quittés. Chaque objet posé là, commence à prendre sens à mes yeux et aux leurs, à mesure qu’ils les re-découvrent en les nommant. L’objet de la discussion est à la fois entre nous et là où nous sommes.
Enfin, je propose de prendre leur place. J’occupe maintenant l’autre côté du bureau et eux la mienne. Le basculement est immédiat, tout bouge. Mon point de vue permet de voir leur territoire et d’y découvrir d’autres indices. Le ton de nos voix change. Nos mots sont plus hésitants, mais la gêne occasionnée permet de développer la discussion sur un registre de connivence, comme si l’inversion offrait ce rapprochement.
Toutes leurs histoires sont consignées dans ces boîtes d’archives. Sur le dos de chacune, quelques indices situent son contenu. Ces fragments de récits dessinent la forme de leur bureau et de leur relation avec l’institution. Cette œuvre en est la mémoire à la fois insoluble et indéchiffrable, mais constitutive de l’institution en tant que telle.