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 "Entre les murs/hors les murs, culture et publics empêchés" (2015) Édition Actes Sud
"Entre les murs/hors les murs, culture et publics empêchés" (2015) Édition Actes Sud

Au-delà des mots qui cachent
Arnaud Théval
Entre les murs/hors les murs, culture et publics empêchés
Culture et Musées N°26
Édition Actes Sud
2015

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Dois-je me résigner à écouter sans broncher un discours qualifiant l'autre d'atypique ou à m'engager plus encore dans ce mouvement critique qui consiste à interrompre cette distance entre le discours sur l'art et l'autre, en travaillant sur ces espaces et sur les mots qui les qualifient ?
Les mots, puis les items qui constituent les discours de l'art en prise sur la société et de la culture hors les murs, sont souvent des mots qui effacent l'autre pour l'assigner à un corps étranger à ceux-ci. Comme si les trois quarts des individus de notre société étaient empêchés de voir, de savoir, d'être capable d'être soi, de choisir, et de critiquer. Je suis mal à l'aise avec cette désignation d'un dedans et d'un dehors pour faire exister les conditions même de l'œuvre et de son public. Un des enjeux de l'art n'est-il pas de ré interroger les limites d'appartenances aux codes culturels institués ? Aux limites des langages et des attendus n'y a-t-il pas, toujours, un lieu à inventer ?

La pensée de l'art sur la société semble avoir été absorbée par l'action culturelle qui, elle, a construit une logique textuelle pour désigner, calculer, évaluer et construire des cadres utiles pour des artistes qui auront à produire des actions avec une destination précise. Parfois, les mots qui composent le discours prennent soin, malgré eux, de catégoriser et de hiérarchiser ce qui va arriver. S'ajoute à cette organisation maligne du vocabulaire une violence symbolique qui nie pour ces productions artistiques une lisibilité et une reconnaissance d'une existence même.
Difficile alors d'échapper à une certaine confusion qui survient entre art et action socio-culturelle puisque les mots en amont auront construit dans les représentations institutionnelles et leurs fléchages budgétaires, des formules qui désignent déjà les enjeux politiques et les publics visés, atypiques. Le malaise n'est-il pas immédiat si l'on considère le jeu de l'art comme un terrain du glissement, de la déconstruction et de l'écart ?

Autant il est difficile d'infléchir les politiques publiques, autant il demeure de la responsabilité de l'artiste de s'engager avec un propos clair sur ces terrains aux entrelacs périlleux. Prendre la parole, c'est être présent sur et dans l'espace public : celui généré par la rencontre, celui du débat avec les acteurs et celui que l'œuvre invente en se construisant.
Je revendique l'exercice de l'écart avec les mots qui me désignent, l'exercice de la déconstruction avec les attendus qui m'assignent et l'exercice de la négociation avec ceux qui m'accueillent. Une construction où je suis acteur avec les autres de la création de mon propre espace de travail, en contestant et en travaillant contre ces mots qui enferment.

Le processus de l'art comme un processus d'espace public
Les mots qui cachent nous disent que ces hors lieux de l'art sont habités par un public empêché ou atypique et que la rencontre ouvre pour ceux-là de nouveaux horizons, les changent. Avec toute cette bonne intention venant d'ailleurs, n'y-a-t-il pas un risque d'oublier le doute ? La méthode pour la rencontre n'est-elle pas un peu pré-écrite, verticale, bien-pensante, réparatrice ? Pour chacun de mes espaces de travail, le premier atypique, c'est moi. Je suis là à me présenter comme un artiste, pas vraiment à sa place mais pas vraiment en trop non plus. Et sans aucun doute, je suis celui qui est déplacé en premier.
(...)
(extrait pages 191-195)

"Entre les murs/hors les murs, culture et publics empêchés" (2015) Édition Actes Sud
 "Entre les murs/hors les murs, culture et publics empêchés" (2015) Édition Actes Sud