Un délicat dissensus
Arnaud Théval, artiste.
Rencontre nationale Culture ; Arts/Travail
Musée des arts et métiers, Paris
2017
Une proposition de conférence qui s'inscrit dans le cadre de la première rencontre nationale Culture ; Arts/Travail qui s’est déroulée le vendredi 8 décembre 2017 au Musée des arts et métiers. Organisée par Travail et Culture (TEC/CRIAC) et soutenue par le Ministère de la culture, elle a suscité l’intérêt de plus de 100 participants et réuni une diversité d’acteurs : protagonistes du travail et de l’entreprise, structures de la création artistique et artistes, festivals, réseaux et associations d’acteurs culturels et sociaux, chercheurs, services et institutions du Ministère de la culture, etc.
Ma contribution interroge où et sur quoi travaille l'art, quand celui-ci s'inscrit dans ces univers institutionnels ?
(à partir de quelques extraits de mes réalisations dans les lycées professionnels, lieu d'archives en chantier, les hôpitaux, les prisons)
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L'atelier de l'artiste
De la salle des professeurs au bureau des transmissions d'un hôpital, des vestiaires du lycée professionnel à la salle de repos des surveillants de prisons, des recoins d'un chantier au bureau d'un dirigeant, ma présence suscite les mêmes inquiétudes : Qu'est-ce que vous faites ici ? C'est quoi votre travail, c'est de l'art ? Pourquoi s'intéresser à nous ? D'abord c'est la suspicion ou l'incrédulité qui domine pour laisser place peu à peu à autre chose. Une sorte de relative confiance en cette figure étrange et nouvelle de l'artiste au travail, qui a remplacé ses outils classiques (entendons dans les représentations standardisées) par d'autres et d'abord par celui de la rencontre sur, justement, le terrain du travail. Celui-ci devenant avec ses acteurs et l'institution qui les réunie, mon atelier. Pour autant, la figure de l’artiste perçue depuis le monde du travail et celle construite depuis le monde de la culture sont parfois étrangement similaires. Les enfermements de l'artiste dans des clichés se répondent et stabilisent un consensus sur la figure de celui-ci à la marge, hors le monde, mais pouvant tant apporter par sa sensibilité.., pour autant qu'il reste à sa place. Mais qu'elle est-elle ?
La démarche de l'artiste
Cette réalité là me permet de mesurer où est situé dans l'imaginaire collectif le rôle de l'artiste et de ses préoccupations esthétiques. Elle contient aussi les germes de la naïveté, celles qui ouvrent toutes les pistes de l'indétermination de ce qui va se produire. Et ce qui arrive va constituer le chemin vers une prise de conscience de mon processus artistique. Ma démarche se confond au début avec des pratiques issues des sciences humaines, une hybridation floutant mes contours. J'y propose une écoute inhabituelle sans évaluation, ni classement, ni contrôle d'aucune sorte et la création d'un espace inédit. C'est ce moment qui va constituer le première fragment de l'œuvre et m'engager dans la construction d'un imaginaire impliquant la parole de l'autre dans son rapport à son image et à son institution. Ensuite, le moment de la restitution de l'œuvre est un moment classique de monstration et une véritable subjectivation des personnes impliquées qui prennent alors complètement consciences d'être à la fois sujet et objet, imbriqués dans l'institution. Institution que je regarde et que mon travail met en perspective critique, à partir des récits de ses acteurs mêmes. Une individuation émancipatrice qui existe dans cet espace inédit et supplémentaire, qui n'est pas sans révéler quelques enjeux politiques sous-jacents. Le renversement est parfois brutal, le changement de position d'acteurs impliqués dans l'œuvre et dans l'institution en même temps vers celui de spectateur est un tremblement de terre.
Un délicat dissensus
Le fondement de mon travail réside dans cette opération délicate qui consiste à impliquer tout en mettant à distance les pathos sociaux et les imbrications dans des revendications des corps constitués, pour n'être qu'un artiste construisant son point de vue sur ce milieu du travail : sans bienveillance, ni malveillance. L'enjeu est d'en faire émerger quelques assignations empêchant précisément d'être autre chose qu'une figure enfermée dans des représentations qui ne lui appartienne plus vraiment mais qui avec sa propre complicité, s'augmente à mesure qu'elle s'y résigne. De la formule c'est comme ça d'Hugo dans Claude Gueux à l'emprise totalisante du bon sens, c'est face à cet appauvrissement de notre capacité à faire du politique que je situe mon entreprise artistique. Ou comment l'art peut-il, en agitant l'espace social, réveiller le politique ? Mon attitude induit des aller-et-retours incessants entre les cultures, les codes de l'art et ses lieux et toutes les autres places imprévues à cet effet.Mon récit va s'articuler sur une série de situations afin d'explorer la dialectique proposée ; celle du jeu entre une démarche artistique sur et dans l'espace du travail et un artiste au travail. Les pièces présentées tenteront de répondre à cette interrogation : où et sur quoi travaille l'art, quand celui-ci s'inscrit dans ces univers institutionnels ?