Expérimentations splendides

Arnaud Theval L'artiste et sa prison (2020) revue Expérimentations splendides
Arnaud Theval L'artiste et sa prison (2020) revue Expérimentations splendides

L'artiste et sa prison
Arnaud Théval, artiste
Revue Expérimentation splendides N°2 Espaces publics
Stimultania, Strasbourg 
2020

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D'une figure artistique l'autre
Bien malin celui qui peut circonscrire un artiste à une image. Celle qui, comme une veille tôle française, lui colle le mieux à la peau appartient encore au XIXe siècle. Pour moi, mon image dans la pénitentiaire colle à celle du photographe, pour cause, j'y arrive à la faveur de fermeture de vieux établissements pour y faire un travail d'enquête en images. Une intuition me pousse à y entrer quelques heures après le transfert des détenus, sans commande, sans argent et avec juste une autorisation orale du directeur, de la confiance. Œuvre de mémoire, je me dis quand même une tôle qui ferme c'est pas rien. Quelle claque, avec du recul c'est l'unique moment où la prison est appréhendable, là,  nue. Visible avec ses années de souffrances et de vies qui dégoulinent de partout mais vidée de ses corps entravés. Elle subsiste quelques heures puis le vivant disparaît, englouti par son architecture devenue inerte, juste bonne à nous faire fantasmer, frémir, pauvre de nous qui n'y iront sans doute jamais. Alors, construire un projet là-dessus, c'est comme partir avec sa pelle déterrer quelque chose d'enfoui bien loin dans son inconscient et dans la vie des autres. Faut faire gaffe à pas trop se la raconter, je sais rien au début. Je n’y vois rien à la tôle, je comprend rien mais si les signes du vivant me claquent aussi dur c’est qu’il a bien fallu une part d’inconscience pour engager là mon histoire. Pour mieux y voir, je remonte le cours de l'histoire des agents pour qu'ils me racontent leurs histoires, celles qui peu à peu vont décoller des murs une couche qui se sédimente depuis des années, que la vitesse et l'angle d'approche de la pluspart des observateurs de la prison ne voient pas. De photographe, me voilà dans les habits d'un anthropologue, voir d'un philosophe quand des années plus tard ma culture augmentée de celle de la pénitentiaire me permet de problématiser des enjeux de représentations et d'assignations, justement. D'une figure artistique l'autre, j'ouvre des perspectives en même temps que je les troubles, incertitudes et inquiétudes.
(…)
Dans d'autres lieux d'échanges intellectuels, dans d'autres salons autrement plus cossus que notre sous-sol là au musée, on discute pas mal de ce qui se passe en prison. C'est fou quand même ces prisons dont on ne parvient pas à freiner le développement, tous ces détenus qui s'entassent. Et quoi, il faudrait faire quelque chose non  ? Les bonnes intentions font rage pour structurer les pensées des acteurs intervenants en prison. Remarque légitime  : s'il faut y aller ce n'est quand même pas pour prêter main forte aux geôliers, non, c'est pour apporter ce brin de liberté dont manquent ceux qui sont là.  Ok, mais quand je travaille en inversant l'œilleton pour impliquer les personnels de la pénitentiaire sur une déconstruction des assignations dans lesquelles ils sont coincé.e.s – entre leurs histoires vécue, celles qu'ils racontent aux médias et le grand récit fabriqué par l'institution – je sème le trouble. Je regarde celui qui, dans nos imaginaires, appartient au corps des bourreaux, celui qui, par délégation, referme la porte sur la personne détenue, celui qui porte un uniforme incarnant la tôle. Du coup avec mon travail ça se gâte. Ça froisse les idéologies, ça sent la collaboration avec le système.
 

Arnaud Theval L'artiste et sa prison (2020) revue Expérimentations splendides
Arnaud Theval L'artiste et sa prison (2020) revue Expérimentations splendides
Arnaud Theval L'artiste et sa prison (2020) revue Expérimentations splendides