Being Urban
pour l'art dans la ville
Bruxelles
format 15 x 22,5 cm – 224 pages, illustrations couleur
coédition ISELP / CFC-Éditions
2016
Being Urban, pour l'art dans la ville prolonge l'expérience menée à l'ISELP et à Bruxelles en 2015. Les textes que regroupe ce recueil y font suite et partent de points de vue d’artistes, de responsables publics et d’experts – urbanistes,architectes, historiens et historiens de l’art – pour envisager des pistes d’actions concrètes.
L’art soutenu par ce livre se veut créateur et activateur d’espaces de liberté, de liens humains, d’interrogations et d’ouverture. Il retrace l’évolution de l’urbanisme et de l’art public à Bruxelles depuis 2000, valorise des projets récents, soucieux du devenir urbain collectif, et donne des outils pour le renouveau de l’art dans la ville.
L'invité inattendu, par Arnaud Théval, artiste.
(extrait pages 158-173)
Ce que l'on n'attend pas, arrive
L'inauguration de l'œuvre se déroula tout début janvier 2009, dans un froid glacial, la ministre de l'époque fit son discours, plusieurs autres personnalités aussi et moi également, épuisé par l'épreuve de l'œuvre dans sa relation aux enjeux urbains, épuisé par le temps étiré, ralenti, pour arriver à une œuvre inachevée. Mon propos fut sans détour, la série de pièces était incrustée au sens littéral du terme dans l'architecture verticale de colonnes en faux marbre gris et deux colonnes avaient été décaissées par erreur, laissant des espaces vides pour des œuvres inexistantes. Ma prise de parole se transforma en une intention de ne pas s'en tenir là. Le vernissage devint le moment de fabrication de deux nouvelles pièces, qui furent installées au printemps suivant. Les herbes folles avaient poussées dans les bacs, rien n'étaient entretenu ; un indice. Je pensais alors que l'œuvre était achevée, elle l'était d'un point de vue formel, mais uniquement. Il restait aux acteurs du site de s'approprier l'histoire, de décoder le contenu des pièces, d'en inventer une lecture et à moi de partir. Le lieu commun lorsqu'il s'agit d'art sur l'espace public c'est de dire que ça ne tiendra pas longtemps, un paradigme qui énonce un fatalisme idiot, un renoncement au politique en quelque sorte.
Et puis, plus rien. Le temps de faire autre chose, de me détacher d'ici. Je reviens la première fois le 24 novembre 2011. Sur les photos souvenir que j'ai faites on voit des dégoulinures de peintures, des griffures sur les colonnes, des dessins au marqueur ici et là, des grosses traces de tags effacés, des empreintes de pas, des crachats sur les murs. Mais rien sur les pièces jaunes, pas un coup, pas une griffure. Une habitante me reconnaît, nous posons pour une photo souvenir, nous reparlons de la relation qui a conduit à faire ce travail, elle me montre sur quelle plaque elle est. Je repars satisfait de voir que l'œuvre tient, je jette un œil amusé sur celle dite du 1210 sous laquelle il y a dû y avoir plus de tags qu'ailleurs. L'histoire de l'œuvre est en quelque sorte en cours.
Chaque fois que je suis à Bruxelles, je repasse ici, voir comment Vestibule «vit». Nous sommes jeudi 18 juin 2015 et ce dernier passage est réjouissant, du moins pour les pièces, pas pour le site. Elle tient sa place, comme si elle tenait les murs de cette rénovation urbaine brutale. C'est à dire qu'elle tient d'un point de vue de l'usure et son sens ne s'est pas dilué avec le temps. Ce n'est pas le cas de la rénovation urbaine qui par étapes successives parfois poussives a retravaillé le site, en excluant les voitures et en minéralisant les accès. Tandis que je réalise quelques photos souvenirs, une vieille dame blonde arrive en marchant péniblement. Nous nous connaissons, elle figure sur une des pièces. Fatiguée elle pose ses sacs de courses au sol et elle se raconte. Son cœur d'abord, puis l'appartement qui ne va pas, rien ne fonctionne plus. Je ne suis pas le bon interlocuteur, elle le sait. Las, elle reprend ses affaires et lentement monte une à une les marches.
Des enfants ont réussi à entrer par effraction dans la structure métallique végétalisée en forme de pyramide. Ce geste m'évoque un des moments de dissensus de ce travail, celui de l'invité inattendu. Il y en a plusieurs, de natures différentes, faisant apparaître la dimension politique de mon propos.
La commande indiquait que l'œuvre tienne dix ans. D'un point de vue formel, c'est assez simple mais ce qui est inattendu c'est que l'œuvre se réalise encore dans une non actualité, dans un cycle ininterrompu d'un enlisement urbain dans lequel ce modèle de rénovation semble déjà épuisé.