Hôpital cherche Nord
Texte et photographies de l’artiste
224 pages, format 13 x 19 cm
8 images, livre relié, cartonné, rembordage mousse
Graphisme : Léna Araguas et Alaric Garnier
Éditions Dilecta, Paris
2021
En immersion depuis 2017 au sein de l’institut Bergonié, centre de lutte contre le cancer à Bordeaux, l’artiste construit son propos en s’adossant à des rencontres avec les personnels hospitaliers, les patients et leurs familles, également en proposant des conférences-débats en invitant des médecins, philosophes, des militaires ou des prêtres. Les formes de ce travail sont multiples, allant de mise en situations photographiques des protagonistes de l’hôpital, à l’écriture de textes et en créant des situations performatives impliquant l’institution dans sa relation au pouvoir, à la mort et à son imaginaire propre.
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Communiqué de presse
Extraits
Dans un hôpital en ébullition, la couleur blanche maquille les émotions et ses débordements. Les soignants s’évertuent, dans la vitesse requise par notre société impatiente, à employer tour à tour des traitements médicamenteux, des ruses philosophiques et des formules savantes pour entretenir la maîtrise du savoir. Dans ce lieu de lutte contre les cancers, la beauté des échanges flirte avec la rudesse des protocoles, et en creux l’idée de la mort s’immisce dans le champ d’une bataille entre rémission et rechute. Entre l’institution hospitalière et moi, une relation complice et étrange se noue. L’arrivée d’un artiste pour une résidence indéterminée diffère des formes attendues de l’art à l’hôpital. Relevant plutôt de l’action culturelle, la création artistique y est d’habitude pensée pour accompagner l’ennui des patients, les éveiller à l’expression, les soulager par l’outil de la création ou leur permettre l’accès à la culture. Pour ma part je travaille sur l’institution même, avec tous ses acteurs. Comme un aiguillon intéressant mais pénible, ma présence cristal-lise quelques tensions. Mon image d’agitateur d’idées, parfois insolent ou maladroit, se précise au bout de trois années de frottements. Je suis un personnage présent et flou à la fois, entre la figure énigmatique de l’artiste contemporain et celle du philosophe questionnant sans relâche ce qu’il entend. Quand les murs de la chambre s’évanouissent, que les corps disparaissent en moins de trois jours, que les mots qui s’échappent de nos bouches se transforment en vapeur d’eau, que la lumière qui scintille alors fait naître l’illusion d’un arc-en-ciel, nous sommes parvenus dans ce nouveau lieu qu’est l’hôpital du XXIe siècle. Recouvert d’une fine couche blanche additionnant les couleurs de toutes nos expériences, le corps de l’hôpital soudain se dissipe. La fin d’un monde. Une brume se forme aussi les jours de grand soleil. Le sud, l’ouest et l’est sont bien inscrits sur la signalétique de l’édifice, mais le nord a disparu. Les boussoles s’affolent, les équipes paniquent. L’hôpital cherche son nord.
Blanc champagne
Dans la chambre, elle est allongée, rayonnante et belle. La famille est bien habillée et son enfant ne cesse d’immortaliser la scène en photographiant chaque précieuse seconde. Les infirmières et les médecins se pressent autour du lit et bien qu’un peu embarrassés, ils semblent heureux. La cérémonie peut démarrer. La jeune infirmière a accepté d’être témoin dans un balbutiement dont on ne sait s’il s’agissait d’une hésitation, d’une acceptation franche ou bien fruit d’une pression liée
à sa position.
Ils sont tous là autour du lit. L’adjoint au maire remplit son office, les voilà mariés. Le champagne est servi, les enfants sont heureux. Ce moment, arraché au temps, sublime la séparation à venir. Son état s’aggravant, il a fallu tout préparer en urgence. On voyait qu’elle serrait les dents mais personne n’a rien dit. Puis les infirmières ont remis les perfusions de morphine. Puis les invités sont repartis discrètement, émus. Les médecins sont saisis de voir à quel point la chambre est un lieu privé.
Son mari l’embrasse, son enfant lui baise la joue, un dernier câlin et ils quittent la chambre. La douleur est devenue trop insupportable. Elle demande dans un dernier effort la sédation. Le soir-même elle quitte notre monde avec son nouveau nom. Le lendemain matin, l’administration est en proie à une panique nouvelle, personne ne connaît cette patiente. Elle a disparu.