Familles dévorantes

Arnaud Théval Familles dévorantes (2025)
Arnaud Théval Familles dévorantes (2025)

Familles dévorantes (2025) acte 1.
Photographies et textes de l’auteur
Djoheur Zerouki, lectrice 
Centre culturel de rencontre Château de Goutelas, Marcoux.
En partenariat avec la fédération des chasseurs de la Loire, le campus Agronova, l’Esat La plume verte.

L'oeuvre Familles dévorantes, prend plusieurs formes dont une série de photographies du genre ‘‘portraits de famille’’ dans lesquelles l’animal prend place. Cette recherche est basée sur les récits d’expériences des personnes rencontrées, leurs discours et leurs positionnements hérités d’une histoire sociale et contemporaine de nos relations aux autres vivants. L’ensemble de ces matériaux et ma perception de leurs récits et des images qui en émergent nourrissent des situations et des espaces qu’ils et elles occupent.

Ignorant, je m’interroge sur les mises à mort de l’animal, les non-dits ou sur ce qui est devenu inaudible ou sur que l’on cache. L’animal n’est plus cet objet abstrait éloigné, il est un sujet dont l’existence et sa symbolique se mêlent intimement à celui qui le tue. Ils et elles font corps. La ruralité et les acteurs en lien avec les animaux élevés, domestiqués, chassés et mangés, sont associées dans ce jeu de places. Il s’agit d’interroger les assignations de ces derniers en leur proposant d’interpréter un geste issu de leurs histoires avec les animaux dans une situation devant potentiellement ‘’magique’’.
Ainsi de ces éléments d’enquêtes, mes photographies, mes textes et mes dispositifs mêlant le vivant au mort et inversement constituent la base de ce nouveau projet dont une première forme est proposée ici. Les protagonistes des images réunis dans "l’éternité" de la photographie ont joué le jeu de se décaler, de sortir de son état, de se glisser à la lisière des mondes pour en interroger le sens. Et l’animal naturalisé dont la présence est troublante et absorbante réussit son rôle de médiateur entre le réel et la fiction, entre la mort et le vivant, entre les croyances et les cultures, il perce allègrement les membranes de nos séparations. Il gambade dans nos imaginaires, pour nos enchanter et nous alerter sur les pertes encourues.

Le premier dispositif de monstration présenté au festival "Futurs possibles" est une déambulation en forêt à la rencontre des images installées à des endroits spécifiques et en lien avec leurs contenus. Devant chaque photographie, la lectrice Djoheur Zerouki lit mes textes, nous invitant au hors-champs de l’image, comme un pistage des histoires intimes narrant les relations entre les protagonistes des scènes.

De sang et de respect (extrait)
(…) Ces hommes sont les fruits de leur héritage, les baies d'une transmission sans écarts, ils ne le discutent pas. Bientôt ils font corps avec le paysage. On ne les distingue plus dans les sous-bois, engloutis par les couleurs sombres d’une étrange fusion. Puis un oiseau vient se poser sur le corps de ces hommes avalés par les bois. Le feu éclaire l’obscurité, une détonation claque, l’oiseau tombe. Personne ne pleure quand la chienne ramène dans sa gueule l’oiseau agonisant. De retour dans le nid de la cabane, la famille regarde le tableau de chasse. Puis c’est le rituel où l’animal dans le creux de leur main est caressé pour accompagner ses derniers instants. Quelques gouttes de sang perlent sur le tapis douillet du nid familial. Dans le lointain des oiseaux de nuits entonnent un chant qui n’est ni lugubre ni joyeux, les hommes se taisent. De leurs bouches la buée de leur souffle se fait rare, ils respectent quelque chose de mystérieux. Puis, le chien aboie rompant le chant du sauvage. (…)

Arnaud Théval Familles dévorantes (2025) tirage sur bâche format 240 x 160 cm.
Arnaud Théval Familles dévorantes (2025) format variable.

 

Arnaud Théval Familles dévorantes (2025) tirage sur bâche format 240 x 160 cm.
Arnaud Théval Familles dévorantes (2025) tirage sur bâche format 240 x 160 cm.



Les enfants d’hier, entre deux eaux (extrait)
(…) Ils entendent sortir de nos bouches des histoires d’abondances, celles des lièvres et des lapins gambadant dans les prés, celles des canards chantant toute l’année aux abords des étangs, celles des rainettes s’échappant sous nos pieds, celles des insectes collés par milliers sur nos pare-brise, celles des nuées d’oiseaux chantant en chorale. Ils répondent que seules les buses volent par centaines au-dessus des basses-cours, que les hérissons ont disparus et que plus rien ne mange les limaces des plans de salades. Ils répondent qu’ils ne prêtent pas attention aux disparus puisqu’ils ne les voient pas.
L’un d’entre nous reconnait dans les animaux qu’ils portent ceux disparus, ceux qui habitent nos mémoires. La troupe avec ses animaux semblent sortir du musée de nos mémoires en ayant dérobé le contenu. Drôle d’effraction qui sidère tout le monde. Un éclat du soleil, puis l’espace s'emplit d’un épais brouillard, ils reprennent leur marche mais nous ne les voyons plus. Ils disparaissent en riant, le vent s’est levé, de loin en loin nous entendons quelques animaux chantant avec eux. (…)
 

Arnaud Théval Familles dévorantes (2025) tirage sur bâche format 240 x 160 cm.
Arnaud Théval Familles dévorantes (2025) format variable.

 

Arnaud Théval Familles dévorantes (2025) tirage sur bâche format 240 x 160 cm.
Arnaud Théval Familles dévorantes (2025) tirage sur bâche format 240 x 160 cm.



Les saigneurs (extrait)
(…) Bruyamment la chaîne s’est mis en route, un jet de vapeur transforme le local en sauna, c’est le moment de s’y mettre. Avec un casque, ils se protègent les oreilles du vacarme et peut-être des cris et ils commencent. Ils ouvrent une caisse, en extraient un canard, l’accrochent par les pattes sur la chaîne. Le volatile semble surpris, il n’émet pas de résistance, il déploie ses ailes et attend quelque chose. Lentement son corps est glissé dans un petit bac à eau, hors de vue, une décharge électrique l’assomme. Un cri, un froissement d’aile et il ressort immobile. L’homme saisit son cou de la main gauche, armé d’un couteau il le saigne de la main droite. Son sang coule doucement, ses muscles s’agitent un peu, un dernier soubresaut et le silence s’empare de son corps. Ainsi de suite les deux saigneurs répètent leurs gestes méticuleusement jusqu’à la pause. Dehors, ils ne fument pas, mais de leurs bouches à chaque respiration de la buée s’échappe. Le bruit des machines se poursuit, à leur pied sous une grille une rivière d’eau et de sang coule sans interruption. (…)
 

Les saigneurs (extrait) (…) Bruyamment la chaîne s’est mis en route, un jet de vapeur transforme le local en sauna, c’est le moment de s’y mettre. Avec un casque, ils se protègent les oreilles du vacarme et peut-être des cris et ils commencent. Ils ouvrent une caisse, en extraient un canard, l’accrochent par les pattes sur la chaîne. Le volatile semble surpris, il n’émet pas de résistance, il déploie ses ailes et attend quelque chose. Lentement son corps est glissé dans un petit bac à eau, hors de vue, une décharge électrique l’assomme. Un cri, un froissement d’aile et il ressort immobile. L’homme saisit son cou de la main gauche, armé d’un couteau il le saigne de la main droite. Son sang coule doucement, ses muscles s’agitent un peu, un dernier soubresaut et le silence s’empare de son corps. Ainsi de suite les deux saigneurs répètent leurs gestes méticuleusement jusqu’à la pause. Dehors, ils ne fument pas, mais de leurs bouches à chaque respiration de la buée s’échappe. Le bruit des machines se poursuit, à leur pied sous une grille une rivière d’eau et de sang coule sans interruption. (…)
Arnaud Théval Familles dévorantes (2025) format variable.

 

Du feu sous la terre (extrait) (…) Le sang des hommes tape dans leurs tempes, l’adrénaline de la chasse excite tous les vivants sauf le blaireau. La mort qui vient est la fin du voyage, du jeu, du plaisir, elle ne sert à rien d’autre qu’à clore la chasse. Il arme sa carabine. L’animal est immobilisé par la pince en métal, incrédule de la situation. Il attend des hommes qu’ils s’aperçoivent que le feu qui brûle encore les sous-sols de la forêt va bientôt lécher le reste du monde. Le chef de l’équipage comprend que le souffle chaud qui monte des entrailles de la terre va tout dévaster en embarquant le vivant, tout le vivant. Il s’immobilise à son tour. Autour d’eux, la fumée caresse les arbres. Il renonce à tuer l’animal. Dans l’épaisseur de la nuit ils boivent le silence d’un monde qui fond, les craquements d’un monde qui change. L’un des hommes sonne le clairon, musique funeste ou glorieuse personne n’entend rien ni comprend rien à ce qui se passe. Seuls les chiens hurlent encore au plaisir de leurs servitudes. (…)
Arnaud Théval Familles dévorantes (2025) tirage sur bâche format 240 x 160 cm.




Du feu sous la terre (extrait)
(…) Le sang des hommes tape dans leurs tempes, l’adrénaline de la chasse excite tous les vivants sauf le blaireau. La mort qui vient est la fin du voyage, du jeu, du plaisir, elle ne sert à rien d’autre qu’à clore la chasse. Il arme sa carabine. L’animal est immobilisé par la pince en métal, incrédule de la situation. Il attend des hommes qu’ils s’aperçoivent que le feu qui brûle encore les sous-sols de la forêt va bientôt lécher le reste du monde. Le chef de l’équipage comprend que le souffle chaud qui monte des entrailles de la terre va tout dévaster en embarquant le vivant, tout le vivant. Il s’immobilise à son tour. Autour d’eux, la fumée caresse les arbres. Il renonce à tuer l’animal. Dans l’épaisseur de la nuit ils boivent le silence d’un monde qui fond, les craquements d’un monde qui change. L’un des hommes sonne le clairon, musique funeste ou glorieuse personne n’entend rien ni comprend rien à ce qui se passe. Seuls les chiens hurlent encore au plaisir de leurs servitudes. (…)
 

Du feu sous la terre (extrait) (…) Le sang des hommes tape dans leurs tempes, l’adrénaline de la chasse excite tous les vivants sauf le blaireau. La mort qui vient est la fin du voyage, du jeu, du plaisir, elle ne sert à rien d’autre qu’à clore la chasse. Il arme sa carabine. L’animal est immobilisé par la pince en métal, incrédule de la situation. Il attend des hommes qu’ils s’aperçoivent que le feu qui brûle encore les sous-sols de la forêt va bientôt lécher le reste du monde. Le chef de l’équipage comprend que le souffle chaud qui monte des entrailles de la terre va tout dévaster en embarquant le vivant, tout le vivant. Il s’immobilise à son tour. Autour d’eux, la fumée caresse les arbres. Il renonce à tuer l’animal. Dans l’épaisseur de la nuit ils boivent le silence d’un monde qui fond, les craquements d’un monde qui change. L’un des hommes sonne le clairon, musique funeste ou glorieuse personne n’entend rien ni comprend rien à ce qui se passe. Seuls les chiens hurlent encore au plaisir de leurs servitudes. (…)
Arnaud Théval Familles dévorantes (2025) format variable.

 

Arnaud Théval Familles dévorantes (2025) tirage sur bâche format 240 x 160 cm.
Arnaud Théval Familles dévorantes (2025) tirage sur bâche format 240 x 160 cm.



Un père à la lisière des mondes (extrait)
(…) Dans son antre, il installe la tête de l’animal naturalisée sur un sac à dos. C’est un trophée qu’il fabrique pour fixer la rencontre entre le chasseur de hautes montagnes et sa proie. Un fois la tête fixée, la discussion reprend entre l’animal et le taxidermiste. L’image du vivant s’anime, leurs regards s’attrapent dans une étrange immobilité. Ça chahute ailleurs. La nuit est tombée sans qu’il ne se soit aperçu du temps qui file comme la trotteuse de sa montre. Sans qu’il ne comprenne bien ce qui lui prend, il endosse le trophée et franchit la petite porte au fond du jardin. L’obscurité l’engloutit entièrement et le parfum humide des sous-bois se mêle aux odeurs des bêtes tapies dans l’ombre. (…)
 

Un père à la lisière des mondes (extrait) (…) Dans son antre, il installe la tête de l’animal naturalisée sur un sac à dos. C’est un trophée qu’il fabrique pour fixer la rencontre entre le chasseur de hautes montagnes et sa proie. Un fois la tête fixée, la discussion reprend entre l’animal et le taxidermiste. L’image du vivant s’anime, leurs regards s’attrapent dans une étrange immobilité. Ça chahute ailleurs. La nuit est tombée sans qu’il ne se soit aperçu du temps qui file comme la trotteuse de sa montre. Sans qu’il ne comprenne bien ce qui lui prend, il endosse le trophée et franchit la petite porte au fond du jardin. L’obscurité l’engloutit entièrement et le parfum humide des sous-bois se mêle aux odeurs des bêtes tapies dans l’ombre. (…)
Arnaud Théval Familles dévorantes (2025) format variable.

 

Arnaud Théval Familles dévorantes (2025) tirage sur bâche format 240 x 160 cm.
Arnaud Théval Familles dévorantes (2025) tirage sur bâche format 240 x 160 cm.


 


 

Arnaud Théval Djoheur Zerouki Familles dévorantes (2025)
Arnaud Théval Djoheur Zerouki Familles dévorantes (2025)