La cage aux oiseaux

Arnaud Théval La cage aux oiseaux (2018-2020) Centre photographique Marseille
Arnaud Théval La cage aux oiseaux (2018-2020) Centre photographique Marseille

La cage aux oiseaux (2018-2020)
Textes et photos de l'auteur
Avec les récits des habitants de Campagne-Lévêque, Marseille
du soutien du centre social St-Louis Léo Lagrange. 
Avec les élèves de seconde du Lycée St Exupéry
une collaboration avec le Muséum d'Histoires Naturelles de Marseille
Avec l'assistance d'Octavia de Larroche, la contribution du designer Jean Schneider, 
dans le cadre d'une commande de 13 habitat dont le commissariat a été confié à Erick Gudimard
Centre Photographique Marseille

En préambule de ce travail le poème Pour faire le portrait d'un oiseau de Jacques Prévert, il contient tous les mots pour nous défaire de ce qui tente de nous contenir. Si les peurs reculent, celle d'ouvrir sa porte sur son univers à un inconnu demeure. Il me faut changer de registre pour mieux y revenir. Car les histoires attrapées au vol d'un atelier de français ici ou d'un sandwitch là, contiennent toutes les histoires du monde, l'animal est le témoin de ces migrations et de porte avec lui, les souvenirs de l'enfance perdue.
 

Arnaud Théval La cage aux oiseaux (2018-2020) Centre photographique Marseille
Arnaud Théval La cage aux oiseaux (2018-2020) Centre photographique Marseille


La correspondance des oiseaux
D'abord en m’adossant sur les histoires entendues ou récoltées lors de l’atelier mené par Octavia de Larroche, je poursuis le déplacement. Les lettres me parviennent accompagnées d’un portrait de ces habitants, comme un indice à partir duquel je compose mentalement le portrait et l’histoire de la rencontre à venir. je relève les traces animales lors de mes parcours jusqu’à eux ; celles qui jalonnent les publicités, qui décorent les murs, habillent les étagères, se gravent sur les peaux, s’impriment comme motifs sur les vêtements et celles vivantes qui partagent leurs vies. En frappant à leurs portes, je découvre les auteurs des lettres ou parfois les retrouve. Les indices présents dans leurs lettres ou sur leurs portraits apparaissent, d’autres surgissent et se mêlent aux histoires écrites. J’opère une mise en situation de l’hôte avec sa présence animale ou avec une figure animale présente. Partout, l'animal s'agite dans les mémoires, accompagne les exils, les histoires des villes et réveille les souvenirs de l'enfance. Chaque histoire contient sa part de tragique et les mots se font le récit de sauvetages d'animaux que l'Homme n'a de cesse d'abandonner ou de maltraiter. Notre relation à l'animal est enfermée dans une violence ordinaire de laquelle nous semblons vouloir nous racheter en créant l'illusion d'une cohabitation apaisée par cette omniprésence des représentations animales.
Il n'en demeure pas moins, que notre relation à l'animal est une figure de l'altérité qui nous renvoie à notre propre fragilité et qui pour la plupart d'entre nous constitue notre première expérience de la mort.

Arnaud Théval La cage aux oiseaux (2018-2020) Centre photographique Marseille
Arnaud Théval La cage aux oiseaux (2018-2020) Centre photographique Marseille
Arnaud Théval La cage aux oiseaux (2018-2020) Centre photographique Marseille
Arnaud Théval La cage aux oiseaux (2018-2020) Centre photographique Marseille

 

Arnaud Théval La cage aux oiseaux (2018-2020) Centre photographique Marseille
Arnaud Théval La cage aux oiseaux (2018-2020) Centre photographique Marseille
Arnaud Théval La cage aux oiseaux (2018-2020) Centre photographique Marseille
Arnaud Théval La cage aux oiseaux (2018-2020) Centre photographique Marseille



Le chant des réserves
Dans les forêts obscures de notre imagination, terrés aux fonds de nos souvenirs d'enfance, l'animal agite des inquiétudes irrationnelles. Récits réels et fictifs abreuvent cette peur que peu d'entre nous avons réellement éprouvé. Peut-être est-ce pour digérer ces inquiétudes que nous avons intégré dans notre langue des expressions qui ridiculisent l'animal pour l'assigner au plus loin de nous. En même temps, nous n'avons de cesse de le figurer partout sur nos vêtements, dans des objets et sur nos peaux. Dans nos cités, l'animal habite à tous les étages, dissimulé entre les pages d'un livre, entre les photos souvenirs, dans la malle à jouets de l'enfance et dans les histoires de nos proches mais ce sont pourtant les visites au Muséum d'histoires naturelles qui nous offrent cette illusion d'un rapprochement  ; tandis que modes d'expositions orchestrent nos relations au vivant et à nos frayeurs selon les époques. L'effroi est réel dans les yeux de ces adolescents intrigués par mon invitation à revenir sur ce lieu de l'enfance. En croquant et en photographiant ces souvenirs de leurs peurs, ils réactivent des histoires enfouies. L'animal caché en eux, s'agite. ils l'avaient oublié. Dans leurs chambres, la nuit emporte avec elle leurs certitudes, dans leurs rêves tout se renverse  : l'agitation saisit leurs corps quand le souvenir lointain d'une peur cachée prend la forme d'un animal aperçu dans la journée. Sous l'œil amusé du chien, gardien du passage entre la nature et le culturel, entre la mort et le vivant, nous divaguons. Dans le sommeil, la mort réveille le vivant et sans nuances, les deux chantent dans un état paradoxal mixant peur et confiance. Hors du monde, plus de séparations, seulement une autre correspondance.

"Un dédale d'escaliers et de portes coupe-feux nous conduisent au sous sol. Nous débouchons sur un palier surplombant une immense volière silencieuse et ordonnée. Sidérés dans leurs élans, des milliers d'oiseaux semblent attendre la moindre inattention chez nous pour repartir de plus belle. Je circule dans une forêt d'étagères métalliques. Sa dimension et son échelle me projettent à hauteur de canopée. Malgré l'air apeuré des uns, moqueurs ou féroces des autres, mon visage se reflète dans leurs yeux en billes de verre avec une proximité jamais égalée. Dans ce lieu éthéré je les vois sans les entendre. Impossible de tous les regarder, tant la densité de volatiles est étourdissante. À chaque fois que je plonge mon attention sur une famille d'entre eux, immédiatement ceux situés en arrière plan m'attirent.
Plus les minutes passent, plus la lumière verte des grésilles insectes se diffusent dans mes yeux, plus le vertige s'empare de mon corps et plus la sensation d'un sanctuaire mortel s'éloigne. Il me semble alors percevoir quelques froissements d'ailes, puis d'autres plus lointains. Les milles et un oiseaux se déplacent tour à tour. ils changent de place. Ce faisant ils brouillent la piste de ma perception, ils se jouent de moi. La forêt de leurs tombeaux prend vie. Les feuilles de papier posées sur les étagères produisent au passage des volatiles les mêmes sons que celles des arbres. Tout bruisse, c'est délicat, à peine perceptible. Ces frottements s'amplifient à mesure que je progresse dans la réserve. Un murmure lointain comme une petite musique perce à travers les branchages. De loin en loin, du fond de l'immense grotte, ces milliers d'oiseaux composent un silence assourdissant comme un délicat souvenir de la vie. Le chant des réserves."
 

Arnaud Théval Le chant des réserves (2019) format 240 x 160 cm
Arnaud Théval Le chant des réserves (2019) format 240 x 160 cm
Arnaud Théval Le chant des réserves (2019) format 240 x 160 cm
Arnaud Théval Le chant des réserves (2019) format 240 x 160 cm
Arnaud Théval Le chant des réserves (2019) format 240 x 160 cm
Arnaud Théval Le chant des réserves (2019) format 240 x 160 cm
Arnaud Théval Le chant des réserves (2019) format 240 x 160 cm
Arnaud Théval Le chant des réserves (2019) format 240 x 160 cm
Arnaud Théval Le chant des réserves (2019) format 240 x 160 cm
Arnaud Théval Le chant des réserves (2019) format 240 x 160 cm

 

L'enfant, la mort et l'animal
Texte et photographies de l'artiste
32 pages, format 20 x 27 cm
Graphisme : François Marcziniak
Centre Photographique Marseille
2021

L'animal occupe malgré nous le moindre espace de nos vies ; réellement, métaphoriquement, graphiquement ou dans l'imaginaire. Il devient ici une figure de l'altérité, un vivant autre entre moi et « les habitants » qui ouvre la voix à des récits intimistes. Je découvre qu'il est à la fois un véhicule de douceur, un réconfort ou qu'inversement il suscite de la peur et de l'effroi. Il est souvent notre première expérience de la mort. Mais grâce à lui, celui qui souffre devient celui qui sauve et celui qui subit une forme de domination spatiale ou/et économique devient celui qui la ré-organise autour d'autres fragilités. L'animal ou le récit qui se fait avec lui, offre un écart sur les situations vécues et ses représentations. Ce récit mêle des récits d'habitants de ces cités populaires des quartiers nord de Marseille et mes propres souvenirs, ceux d'une enfance aux pieds d'autres immeubles, toujours au bord de la ville là où l'animal vient se frotter à notre culture dévastatrice.

« Son visage raconte. Elle parle peu. Dans sa cité minière, ses animaux domestiques étaient des dindes, des chèvres et des cochons. À onze ans, les jeunesses hitlériennes la chassent de son Alsace natale, laissant derrière elle tous ces animaux de basse cour. La guerre chasse tout, ses souvenirs aussi. Les convois en train, la vie nouvelle, sans retour possible. Sur son mur, un chien berger en point de croix, ce n’est pas un berger allemand non c’était un malinois, me précise-t-elle. Elle murmure que parfois on vit mieux au milieu des animaux qu’au milieu des hommes. Ses yeux vont lentement de mon visage à la fenêtre et racontent ce que les mots peinent à nommer. L’appartement est calme. En contrebas les abattoirs sont fermés. Depuis son appartement, on distingue nettement son organisation spatiale. Ils arrivaient par convois entiers et attendaient leur tour. Le plus dur confie-t-elle c’était d’entendre pleurer les animaux que l’on tuait. Les chevaux sentaient la fin arriver, ça se voyait à leur agitation. Le pire c’étaient les cris des porcs. S’il y avait eu une horloge dans la pièce nous aurions entendu son mécanisme, mais il n’y en a pas et seules nos respirations rythment ce silence. Les objets qui décorent sa vitrine ne sont pas les siens. Sauf le cadre avec la photo du chien sautant un obstacle imaginaire. Il s’anime, il aboie, sort du cadre et vient lui lécher les mains. Elle a fermé ses yeux et elle sourit. « Quand même ce chien était formidable» dit-elle. Quand elle s’est cassé le fémur personne ne pouvait l’approcher. Il la protégeait. Il était intenable, presque sauvage. Après sa mort, elle n’a plus voulu d’animaux. Trompe la mort. »

« D’un lézard l’autre, sur le balcon un gecko me fuit. Le bocal est prêt pour celui qui se tortille dans ma main. Il est vert émeraude, sa gueule est largement ouverte prête à se refermer sur mes doigts pour me faire lâcher prise. Je résiste à la crainte de sa morsure. Son corps s’est d’un seul coup immobilisé, ses pattes sont lâches, il se transforme en objet inerte. Sa ruse ne prend pas, il le comprend et s’agite de plus belle en déféquant dans le creux de la main. Mon père sort le bocal du sac en plastique qui le protège, puis dévisse son couvercle. L’opération est délicate, il s’agit de ne rien renverser du formol avant d’y plonger la bestiole. Immédiatement saisi par la mort, le lézard nage au ralenti dans le liquide visqueux. Ses derniers gestes sont une danse funèbre, son immobilité devient éternelle. Dans la bibliothèque de ma chambre, le lézard prend place à côté d’autres objets, mais déjà ses couleurs somptueuses l’ont abandonné pour un gris terne lugubre. Dans le bocal, il n’y a plus que l’idée évanouie d’avoir capturé le roi des lézards. Étrange souvenir, dans les forêts obscures de mon imagination, ces correspondances commencent à me jouer des tours. »
 

Arnaud Théval L'enfant, la mort et l'animal (2021) Centre photographique Marseille
Arnaud Théval L'enfant, la mort et l'animal (2021) Centre photographique Marseille
Arnaud Théval L'enfant, la mort et l'animal (2020) Centre photographique Marseille
Arnaud Théval L'enfant, la mort et l'animal (2021) Centre photographique Marseille
Arnaud Théval La cage aux oiseaux (2018-2020) Centre photographique Marseille
Arnaud Théval La cage aux oiseaux (2018-2020) Centre photographique Marseille
Arnaud Théval La cage aux oiseaux (2018-2020) Centre photographique Marseille
Arnaud Théval La cage aux oiseaux (2018-2020) Centre photographique Marseille
Arnaud Théval La cage aux oiseaux (2018-2020) Centre photographique Marseille
Arnaud Théval La cage aux oiseaux (2018-2020) Centre photographique Marseille
Arnaud Théval La cage aux oiseaux (2018-2020) Centre photographique Marseille
Arnaud Théval La cage aux oiseaux (2018-2020) Centre photographique Marseille
Arnaud Théval La cage aux oiseaux (2018-2020) Centre photographique Marseille