Les bleus des lycéens

Arnaud Théval Les bleus des lycéens (2021) Lieux Fictifs, Friche la Belle de Mai, Marseille.
Arnaud Théval Les bleus des lycéens (2021) Lieux Fictifs, Friche la Belle de Mai, Marseille.

Les bleus des lycéens
Exposition à la Friche La belle de Mai, Marseille
Photographies, jeux vidéo et textes de l’artiste
Composition typographique : Léna Araguas et Alaric Garnier
2021

Dans le cadre de l’exposition Bleu, blanc, rouge quand l’art travaille l’école
avec Florence Lloret (artiste) et Alain Kerlan (philosophe)
Une proposition de Lieux Fictifs

"En 2019, le plasticien Éric Baudelaire se voyait attribuer le prix Marcel Duchamp, pour son installation Tu peux prendre ton temps, articulée autour d’un long métrage,  réalisé en complicité avec…  une vingtaine d’élèves d’un collège de Seine-Saint-Denis. En 2004, l’artiste chinois Xu Bing, dans le cadre de Forest Project (2004), luttant  contre la déforestation, avait choisi d’aller à la rencontre… d’enfants des écoles, au Kenya. Ces deux faits ne sont en rien de simples épiphénomènes dans l'actualité artistique. Ils marquent tout au contraire un carrefour significatif dans les développements de l'art contemporain : celui où se croisent les chemins de l'art et ceux de l’école, de l’enfance, de l’éducation. C'est à ce carrefour que prennent place le travail de Florence Lloret et celui d'Arnaud Théval, que se situent les deux installations que réunit Lieux Fictifs dans l'exposition Bleu blanc bouge. Quand l’art travaille l’école.

Les raisons esthétiques, politiques, éducatives pour lesquelles cette rencontre s'effectue aujourd'hui - au point qu'une histoire ou un panorama de l'art contemporain ne saurait l'ignorer sans faillir - sont diverses et complexes. Comme sont diverses les manières dont les artistes s'y engagent et y engagent leur œuvre et leur démarche.

Celles de Florence Lloret et de Arnaud Théval ont une perspective commune, même si les chemins empruntés peuvent différer : leur sujet. Il faut entendre ce terme au sens qui est le sien dans le vocabulaire esthétique, en lui conservant sa double signification : ce sur quoi « porte » l’œuvre, ce dont elle « traite », et la manière dont elle le fait, mais aussi ce sujet qu’est l’artiste lui-même engagé dans ce dont il parle.(...)"

Alain Kerlan, philosophe
Voir son ITW
Voir le dossier de presse

Exposition Bleu, blanc, rouge quand l'art travaille l'école (2021) Lieux Fictifs, Friche la Belle de Mai, Marseille.
Exposition Bleu, blanc, rouge quand l'art travaille l'école (2021) Lieux Fictifs, Friche la Belle de Mai, Marseille.
Arnaud Théval Les bleus des lycéens (2021)
Arnaud Théval Les bleus des lycéens (2021), salle des machines, la Friche La belle de Mai, Marseille. 

Une image de lycéen professionnel dégradée, une estime de soi proche de zéro, un bleu de travail difficile à porter, des élèves qu’il faut remettre sur les rails en les aidant à s’affirmer individuellement, et dans le même temps, des élèves à faire rentrer dans le moule d’un métier ! Comment ces lycéens se construisent-ils une image dans ce moment de crise ? Sont-ils soumis à ces assignations, celles qui construisent des représentations standardisées ? Ou résistent-ils, avec quels objets, signes ou attitudes ? Quelle place symbolique leurs corps et leurs paroles peuvent occuper dans le dispositif scolaire ? Ces questions m’ont amené à proposer des protocoles questionnant les enjeux de la formation professionnelle : endosser l’habit de travail, se conformer à des gestes, l’impact sur le corps. Comme un déclencheur, mon processus artistique vient agiter et réveiller leurs appétences à être politique en travaillant sur les minuscules écarts qui sont joués par les élèves eux-mêmes dans leur quotidien. Je propose un jeu entre moi, les élèves et l'institution, dans lequel l’altérité, la négociation et les déplacements provoquent des situations performatives bousculant les clichés et révélant leurs capacités à prendre la parole, individuellement portés par le groupe.
Arnaud Théval 

Voir l'ITW vidéo

Arnaud Théval Les bleus des lycéens (2021), La friche La belle de Mai, Marseille.
Arnaud Théval Les bleus des lycéens (2021), salle des machines, la Friche La belle de Mai, Marseille. 
Arnaud Théval Les bleus des lycéens (2021)
Arnaud Théval Les bleus des lycéens, l'esquive (2021), format 500 x 261 cm.

L'esquive 
Les mains dans les poches, le menton en avant il pose ace à mon appareil avec un air de victoire. Son tee-shirt avec un dessin de pitbull est à la mode. Par contre quand il s’agit de se changer pour mettre le bleu, ce n’est plus la même frime. Ils ont oublié la clef de leurs casiers, mes histoires les ennuient. L’après-midi tire à sa fin, ils m’esquivent dans un éclat de mépris et de gêne mêlés. La semaine suivante, ils n’en reviennent pas de me voir débarquer dans l’atelier de plasturgie. Les machines grondent, la négociation commence sur une possible image d’eux. Rapidement le groupe explose en deux à mesure que nous cherchons la bonne situation pour fabriquer la photographie du collectif. Sourires aux lèvres et regards malicieux, ils détournent les outils du travail en ustensiles de modes. Le bleu est porté comme un vêtement de soirée. En retrait, les autres élèves attendent que cesse cette situation navrante. Le leu de travail est sacré, même celui qui a customisé ses chaussures de sécurité avec la virgule Nike n’adhère pas. S’il n’y a pas de partage du jeu, chacun assume sa place.

Arnaud Théval

Arnaud Théval Les bleus des lycéens (2021)
Arnaud Théval Les bleus des lycéens (2021), salle des machines, la Friche La belle de Mai, Marseille. 
Exposition Bleu Blanc Rouge, quand l'art travaille l'école
Arnaud Théval Les bleus des lycéens, L'issue (2021), format 500 x 261 cm.
Arnaud Théval Les bleus des lycéens
Arnaud Théval Les bleus des lycéens (2021), salle des machines, la Friche La belle de Mai, Marseille. 
Arnaud Théval Les bleus des lycéens (2021), salle des machines, la Friche La belle de Mai, Marseille. 
Arnaud Théval Les bleus des lycéens, Manifeste bleu (2021), format 508 x 261 cm.

Manifeste bleu
Je parle, ils se taisent. J’insiste, ils temporisent. J’hausse le ton, ils répondent évasivement. Face à ce groupe de menuisiers, taiseux comme une tradition implicite déjà acquise, je reste au seuil de qui ils sont. Pour débloquer la situation, je leur demande de se saisir de leur boîte à outils et de créer une forme collectivement. À la sortie de l’atelier, je sens le plaisir monter mais ils restent silencieux. Ils entassent leurs boîtes sous le regard des caméras de surveillance. Puis le groupe se dirige vers la barrière de la porte d’entrée. Quelques mots, des regards entendus et voilà qu’ils veulent l’en-serrer avec un anneau. Soudain la sonnerie de la récré retentit, les élèves affluent. Ils résistent à la honte. Le portail à force d’être contrarié dans sa fermeture se bloque. Les surveillants déboulent en nombre, ils tiennent tête. Je résiste, c’est de l’art ! Un à un ils posent au centre de ce blocus inversé. La performance est un geste qui s’assume, nous sommes résolument là, présents collectivement, partageant cette fois le même silence.

Arnaud Théval

Arnaud Théval Les bleus des lycéens (2021), salle des machines, la Friche La belle de Mai, Marseille. 
Arnaud Théval Les bleus des lycéens, Mod mop (2021), format 200 x 300 cm, salle des machines, la Friche La belle de Mai, Marseille. 
Arnaud Théval Les bleus des lycéens (2021), salle des machines, la Friche La belle de Mai, Marseille. 
Arnaud Théval Les bleus des lycéens (2021), salle des machines, la Friche La belle de Mai, Marseille. 

Les jeux vidéo

Arnaud Théval, Moi le groupe, degriff mop, 2007,  jeu vidéo Avec les lycéens de 1re, Bac et Terminal de la formation Bac pro menuiserie du Lycée polyvalent Bertin à Saumur. L’atelier de plasturgie du lycée professionnel a été envahi par les marques des vêtements des lycéens. Cette customisation se heurte à une résistance du bleu de travail. Les lycéens luttent entre deux uniformes, celui du travail et celui de la mode. Le but du jeu est de libérer le groupe de cette double emprise et de découvrir le groupe d’élèves dans leurs tenues habituelles. Ce jeu nous informe de la difficulté de se faire une image dans une société pressurant chacun sur son look, imposant une appartenance.

Arnaud Théval, Moi le groupe, spice invader bleu, 2007, jeu vidéo Avec les lycéens de Bac pro métiers de la plasturgie du Lycée Polyvalent Le Mans Sud. Les lycéens se retrouvent acteurs d’un jeu issu de la perfor-mance que nous avons traversée ensemble à la sortie du lycée. Celle-ci a consisté à prendre place et à occuper un espace ultra visible pour des élèves habitués au silence et à la discré-tion. Ce renversement politique a pour effet de dérégler l’ordre établi des assignations. Le jeu pousse à l’extrême cette lutte des places. Le but du jeu est de libérer le groupe d’élèves menuisiers en détruisant les vaisseaux des envahisseurs, qui aujourd’hui ont pris la forme d’objets sécuritaires. Ce jeu vidéo nous signale à quel point les établissements scolaires se sont peu à peu transformés en citadelles sécuritaires.

Arnaud Théval Les bleus des lycéens (2021), salle des machines, la Friche La belle de Mai, Marseille. 
Arnaud Théval Moi le groupe Degriff Mop (2007), jeu vidéo et Spice invadee bleu (2007), jeu vidéo.  
Arnaud Théval Moi le groupe Spivce invade bleu (2007), jeu vidéo.
Arnaud Théval Les bleus des lycéens (2021), salle des machines, la Friche La belle de Mai, Marseille. 

Ces pièces sont issues du corpus Moi le groupe réalisé entre 2007 et 2011 dans dix lycées professionnels et technologiques de la région des Pays de la Loire.
Ce travail a fait l'objet de deux publications mettant en récit ces dix pièces chez Zédélé éditions. 

Exposition Bleu Blanc Rouge, quand l'art travaille l'école
Exposition Bleu Blanc Rouge, quand l'art travaille l'école
Exposition Bleu Blanc Rouge, quand l'art travaille l'école
Exposition Bleu Blanc Rouge, quand l'art travaille l'école
Exposition Bleu Blanc Rouge, quand l'art travaille l'école
Exposition Bleu Blanc Rouge, quand l'art travaille l'école
Exposition Bleu Blanc Rouge, quand l'art travaille l'école
Exposition Bleu Blanc Rouge, quand l'art travaille l'école