Trompe la mort !
Photographies et textes de l'artiste
Centre Photographique Marseille
"La cage aux oiseaux", résidence sur les quartiers nord.
2018
Pour cette commande, l'épineux problème est celui de ne pas reconduire les mêmes propositions standardisées sur les grands ensembles d'habitations populaires et leurs habitants. Où se situer sans être manipulé par des stéréotypes parfois attendus, ou alors générer soi-même une forme artistique prise entre deux croyances, souvent cataloguée dans un hors-champ de l'art ? Mal vu, pas vu...le malentendu est persistant. À l'instar des animaux en montagne, comment créer des chemins de traverses ou emprunter ces lignes de désirs urbaines pour répondre à la commande sans s'y perdre ?
L'idée que je me fais d'une ville se trame dans mon imaginaire irrigué par des clichés de tout poil. Il y a ces images hypnotiques, violentes ou poétiques sur les quartiers du nord de Marseille, dont certaines me renvoient à ma propre enfance au pied d'immeubles à la lisière d'une autre ville. L'image de l'oiseau en cage me revient comme une sensation d'enfermement et d'ennui au pied de ces architectures verticales. En même temps, une autre mémoire fait surface, celle d'un attrait pour l'animal tapi dans le fossé des promenades d'alors. Sur la route des quartiers nord, je retrouve les amorces de chemins oubliés.
Ma pensée s'est développée à partir de rencontres dont le prétexte fut leur présence (domestique, imaginaire, sauvage), puis construite par d'autres lectures et regards (philosophiques, artistiques). Les représentations de l'animal habillent nos vêtements, nos emballages alimentaires, elles décorent nos murs et se font domestiques pour notre plus grand bien. J'ai découvert que l'animal, en étant une autre figure de l'altérité, devient celui que l'on sauve et qu'enfant on voit disparaître dans une première rencontre avec la mort.
En enquêtant sur les chemins composites des imaginaires populaires, je me suis découvert dans ma propre relation à l'animal. Ma tendresse pour leur fragilité semble paradoxalement mettre à distance la mienne. Nos échelles de vie sont si différentes que mon attachement à eux paraît indéfiniment reconductible et périssable en même temps. Pourtant dans nos récits d'avant, ils occupaient en plus grand nombre et physiquement les lisières de nos vies. Un peu comme si l'animal était un gardien du temps, l'ultime témoin silencieux de nos cheminements vagabonds.
La correspondance des oiseaux
D'abord en m’adossant sur les histoires entendues ou récoltées lors de l’atelier mené par Octavia de Larroche, je poursuis le déplacement. Les lettres me parviennent accompagnées d’un portrait de ces habitants, comme un indice à partir duquel je compose mentalement le portrait et l’histoire de la rencontre à venir. La correspondance opère d’abord sur mon imaginaire, comme un déclencheur.
En frappant à leurs portes, je découvre les auteurs des lettres ou parfois les retrouve. Les indices présents dans leurs lettres ou sur leurs portraits apparaissent, d’autres surgissent et se mêlent aux histoires écrites. J’opère une mise en situation de l’hôte avec sa présence animale ou avec une figure animale présente.
Le portrait et texte constituent une interprétation d’une réalité vécue et tamisée par la mémoire, mixée par la mienne, produisant une dérive poétique dans les histoires intimes. Il en émerge une ville et ses déformations, des trajectoires de vie et de mort ainsi que des récits d’abandons et de sauvetages des uns et par les autres.
En préambule de ce travail le poème Pour faire le portrait d'un oiseau de Jacques Prévert ressurgit. Il contient tous les mots pour nous défaire de ce qui tente de nous contenir. Si les peurs reculent, celle d'ouvrir sa porte sur son univers à un inconnu demeure. Il me faut changer de registre pour mieux y revenir. Car les histoires attrapées au vol d'un atelier de français ici ou d'un sandwitch là, contiennent toutes les histoires du monde, l'animal est le témoin de ces migrations et de porte avec lui, les souvenirs de l'enfance perdue.
Trompe la mort
Cette expositon se nourrit de ma rencontre avec des récits de vie d’habitants de Marseille en lien avec des présences animales. À l’instar d’un inventaire ethnographique, je relève les traces animales lors de mes parcours jusqu’à eux ; celles qui jalonnent les publicités, qui décorent les murs, habillent les étagères, se gravent sur les peaux, s’impriment comme motifs sur les vêtements et celles vivantes qui partagent leurs vies.
Une proposition conçue grâce aux récits des habitants de Campagne-Lévêque et au soutien logistique du centre social St-Louis Léo Lagrange. Avec l'assistance d'Octavia de Larroche ainsi que la contribution du designer Jean Schneider, dans le cadre d'une commande de 13 habitat dont le commissariat a été confié à Erick Gudimard.
Partout, l'animal s'agite dans les mémoires, accompagne les exils, les histoires des villes et réveille les souvenirs de l'enfance. Chaque histoire contient sa part de tragique et les mots se font le récit de sauvetages d'animaux que l'Homme n'a de cesse d'abandonner ou de maltraiter. Notre relation à l'animal est enfermée dans une violence ordinaire de laquelle nous semblons vouloir nous racheter en créant l'illusion d'une cohabitation apaisée par cette omniprésence des représentations animales. Il n'en demeure pas moins, que notre relation à l'animal est une figure de l'altérité qui nous renvoie à notre propre fragilité et qui pour la plupart d'entre nous constitue notre première expérience de la mort.
Extrait
L’odeur chaude et piquante des travaux en contrebas guide mes pas dans ce champ de ruines. Je croise un chien fantomatique, l’œil blanc, il semble être sur le chemin de sa propre mort. Dans les vapeurs de pétrole qui s’échappent de l’asphalte à peine coulé, une femme gesticule dans tous les sens. Elle vient de stopper l’engin aplatisseur. Un attroupement se crée autour d’elle, au cul du camion qui vient de se défaire de sa cargaison de goudron chaud. À genoux, les mains protégées par des chiffons elle fouille les graviers pour en extraire une boule de poil recouverte de graviers noirs. L’animal hagard et fumant ressemble à une pierre de lave.
De l’autre côté du trottoir de son balcon une femme l’interpelle en riant. Je ne comprends pas ses mots. À ses pieds, dans une cage à oiseaux, six chats suivent silencieusement le sauvetage.
L'animal me garde
film, 23 minutes.
Texte et images : Arnaud Théval
Composition sonore : Pauline Boyer
Centre Photographique Marseille
2021
Le film « L'animal me garde » se faufile dans les méandres de nos relations aux figures animales. Ma pensée s'est développée à partir de rencontres dont le prétexte fut leur présence (domestique, imaginaire, sauvage), puis construite par d'autres lectures et regards (philosophiques, artistiques). Les représentations de l'animal habillent nos vêtements, nos emballages alimentaires, elles décorent nos murs et se font domestiques pour notre plus grand bien. J'ai découvert que l'animal, en étant une autre figure de l'altérité, devient celui que l'on sauve et qu'enfant on voit disparaître dans une première rencontre avec la mort.
En enquêtant sur les chemins composites des imaginaires populaires, je me suis découvert dans ma propre relation à l'animal. Ma tendresse pour leur fragilité semble paradoxalement mettre à distance la mienne. Nos échelles de vie sont si différentes que mon attachement à eux paraît indéfiniment reconductible et périssable en même temps. Pourtant dans nos récits d'avant, ils occupaient en plus grand nombre et physiquement les lisières de nos vies. Un peu comme si l'animal était un gardien du temps, l'ultime témoin silencieux de nos cheminements vagabonds.