La mémoire invitée
50 posters couleurs 40 x 60 cm
20 photographies sur dibon 60 x 80 cm
Installation pérenne
Centre pénitentiaire de Valence
2019
En 2015, j'ai pu assister aux dernières heures de la maison d'arrêt de Valence. Ma rencontre avec les équipes a été très passionnante et émouvant, tant sur le partage de leurs vies dans les murs que sur la nécessité de rendre compréhensible l'histoire de leurs vies de travail en prison. Les photographies et mon récit de ces démantèlement des vieilles prisons ont fait l'objet du livre « La prison et l'idiot » publié en 2017 aux éditions Dilecta.
En 2019, je reviens dans la nouvelle prison de Valence pour offrir le livre aux agents ayant connu cette histoire. Je leur propose de choisir parmi les images réalisées dans l'ancienne prison, celles qui résonnent singulièrement pour eux. Sous la forme d'une soirée, ils et elles choisissent les images qui seront imprimées et accrochées dans les couloirs de locaux administratifs et dans leurs divers lieux de travail (bureaux, couloirs etc).
Cette proposition à se saisir de mon travail est une invitation à s'approprier une partie de leur mémoire, une empreinte d'un passé constituant une part de leur présent dans la nouvelle structure.
" Le transfert des détenus s’achève à peine. La prison ferme. Épuisé, le personnel de l’administration pénitentiaire l’abandonne ou s’active pour nettoyer le chaos. Les photographes officiels rangent leurs objectifs, les journalistes ont leur une et les CRS retrouvent leur caserne. C’est le moment que je choisis pour entrer en prison. Aucune porte n’est plus fermée, le silence et le vent commencent à prendre leur quartier. Mais tout y bouge encore, pour quelques heures seulement, le vivant résiste. J’y assiste comme un spectateur médusé puis je deviens acteur, recréant par étapes les lieux mêmes de l’enfermement. Je cherche à reconstituer un nouvel endroit, où je n’ai vécu ni en tant que détenu ni comme surveillant, pourtant ma tête est pleine d’images. Mes photos sont comme des souvenirs muets qui m’exploseront au visage quand plus tard les surveillants les mettront en mots. La prison est rarement mise en récit par ceux qui l’organisent. La fermeture des prisons est le moment que j’ai choisi pour inverser l’œilleton.
Mon expérience est celle de trois prisons vidées, Nantes, Valence et Beauvais, et de plusieurs années d’immersion dans la culture pénitentiaire. La situation exclut la relation frontale aux corps enfermés et la contrainte d’avoir à photographier sous le contrôle de la sûreté. Je ne viens pas non plus à la suite d’une commande qui m’aurait été passée.
Dans ces murs crasses, mes gestes sont prudents, comme ceux d’un archéologue. Je m’épuise à archiver tout ce patrimoine vivant, jusqu’aux minuscules objets abandonnés dans les moindres recoins. Il y a là la violence et la beauté de la relation entre le surveillant et le détenu, entre la société et son cul-de-sac. Ces instants d’après contiennent, encore pour un temps, l’essence même de l’enfermement. La poignée d’heures pendant laquelle la prison est encore une prison va s’écouler plus vite que des heures ordinaires. Le lendemain, la prison n’en sera plus une.
C’est là, dans cet état remuant, tandis que les odeurs sont encore fortes, que les lits contiennent encore les marques des corps allongés et que les tasses à café ne sont pas tout à fait finies, que je me confronte aux signes qui régissent les lieux, à cette poésie brutale qui suinte de partout, entre désastre, espoir et humour."
Arnaud Théval, artiste