Surveillantes

Le soupçon du bourreau (2015), format variable.
Le soupçon du bourreau (2015), format variable.

Très maladroitement, je raconte qu'à plusieurs moment du travail j'ai été interpellé par la question de la femme surveillante, d'abord avec ces dessins d'héroïnes négatives accrochées sur les casiers des vestiaires femmes. Puis dans les récits des autres élèves et enfin dans un livre qui retrace d'un point de vue scientifique « les origines et évolution de la féminisation de l'administration pénitentiaire ». Nous distribuons un document de plusieurs pages contenant des fragments de textes issus de ce livre que j'ai associé à quelques images évoquant différentes figures possibles dans les représentations de la femme surveillante. Elles le parcourent, je lis certains passages. Le ton du texte est parfois rude, les mots claquent, sans concession. Je relève que c'est hard, non ? Le contenu m'a interpellé, qu'en pensez-vous ? Le débat ne s'installe pas. Les élèves restent entre elles, comme un bloc tentant de se contenir, de ne pas réagir trop directement, trop ouvertement. En scrutant la salle plus en détails, je lis dans les regards de l'agacement, de l'énervement, de l'ennui mais aussi de la vivacité, du rire, de la curiosité. Je relance avec un autre extrait « ...protéger les surveillantes elles-mêmes qui sont, dans les représentations, non des agents potentiels mais potentiellement des femmes en danger ». Un brouhaha monte, ça commence à s'agiter mais c'est plus un murmure de fond.

Surveillantes (2015)
L'histoire sans images (2015) 250 x 350 cm, école nationale d'administration pénitentiaire, Agen.

L'histoire sans images
J'hésite, j'ai l'impression que mes mots vont trembler lorsqu'ils sortiront de ma bouche. D'ailleurs, mes déplacements hésitent aussi. Je ne tiens pas en place, je cherche le point de vue, l'arrière plan qui convient à la situation, celle de demander à quinze surveillantes de poser en étant le moins femme possible. Il y a souvent, avant d'énoncer un protocole, un moment où je doute, mais je souris et généralement je poursuis. Elles interprètent des poses qu'elles voient chez leurs collègues, récupèrent de vieux pneus qui trainaient plus loin derrière, voutent un peu le dos, étrangement elles ne sourient pas.

Le soupçon du bourreau (2015) 250 x 350 cm, école nationale d'administration pénitentiaire, Agen.
Le soupçon du bourreau (2015) 250 x 350 cm, école nationale d'administration pénitentiaire, Agen.

Le soupçon du bourreau
Du carton, des ciseaux et des crayons sont disposés sur la table côtoyant des impressions de figures maléfiques issues des représentations des dessins animés. L'impression est étrange lorsque les élèves surveillantes arrivent, nous voilà démunis face aux réminiscences de souvenirs d'école. Comment fabriquer des masques évoquant ces héroïnes féminines, celles qui font peur dans les dessins animées, celles que j'ai vu découpées et scotchées sur les casiers des vestiaires des femmes en prison. Nous traçons vite sur le carton gris, des contours au crayon de bois, la découpe est plus rapide encore, les résultats sont hésitants. À l'aide d'une cordelette ou encore de leurs mains, elles se masquent. Les gestes des mains, associés à la forme indéfinie des masques produisent leurs effets. Il me revient cette phrase entendue à l'intérieur c'est un jeu de rôle, on se transforme pour se protéger.

 

L'enceinte (2015) 250 x 350 cm, école nationale d'administration pénitentiaire, Agen.
L'enceinte (2015) 250 x 350 cm, école nationale d'administration pénitentiaire, Agen.

L'enceinte
Elles sont quatre à rire aux éclats, tenant tant bien que mal des ballons gonflées sous leur polo, un peu trop gonflé, l'uniforme s'étire. Un récit évoque cette femme directrice de prison, enceinte, qui éteint une insurrection musclée par sa présence même. Ma demande, légère, consiste à interpréter des surveillantes enceintes, d'en rire dans ce contexte où cette image semble improbable. Puis, je remarque sur ma droite une cinquième surveillante affairée à masquer un ballon rose avec un masque vénitien, qu'elle a acheté pour l'occasion. Nous multiplions l'idée avec d'autres surveillantes, mais c'est seule, son ballon rose masquant les traits fins de son visage, l'autre main portant son ventre de femme enceinte feinte, qu'elle se tient, là.

Les fantasmes (2015) 250 x 350 cm, école nationale d'administration pénitentiaire, Agen.
Se frayer un chemin entre (2015) 250 x 350 cm, école nationale d'administration pénitentiaire, Agen.

Les fantasmes
À l'évocation de mes découvertes sur les casiers des vestiaires des surveillantes, trois d'entre-elles ont été acheter des masques pour notre rendez-vous. Élégantes, séduisantes, raffinées même lorsqu'il s'agit de prendre la pose en tentant une pointe, légèrement en déséquilibre qu'un mouvement de poignet léger vient stopper, elles se frayent un passage entre deux représentations caricaturales opposées.

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theval surveillantes enap agen
theval surveillantes enap agen
theval surveillantes enap agen