Tenir, caché
six pièces format 65 x 70 cm.
Résidence au CHU de Nantes en 2011-2012.
2017
Tenir, caché est une inversion de ce paradigme des images fonctionnelles ou communicationnelles, en replaçant au centre physique et symbolique de l'hôpital, des images de l’art concernant du personnel médical. Il s’agit de lire ici, la force de l’incorporation dans les corps d’une gestuelle professionnelle et de leurs emprises sur la relation au collègue, avec en arrière plan l’histoire de leur relation avec le patient.
Les rencontres se font sur le temps de travail, dans la salle des transmissions, les couloirs ou la salle de pause.Je passe de longs moments dans cette organisation où rien n’est laissé au hasard et où tout est consigné dans des cahiers. En notant les paroles échangées dans mes carnets, une image mentale de l’hôpital se dessine. La structuration du travail, son rythme, ses protocoles. La relation de chacun avec les patients. L’image que l’équipe a d’elle-même. S’esquisse un portrait de l’hôpital public et de ses mutations.
La figure du binôme s’impose comme métaphore des équipes hospitalières. Pour la réalisation des portraits de binôme, je propose un protocole. Le bas du corps répond à un ordre précis. Les pieds sont joints. Ils doivent me faire face. Nous sommes dans les couloirs du service. Il faut garder un visage neutre. Je leur demande d’exprimer avec le haut du corps une émotion liée à leur relation aux patients, à un souvenir, à ce qui déborde parfois, à un moment de fragilité. Ils construisent une pose avec des gestes pour se tenir ensemble.
Ils ajustent l’espace entre eux. La pose photographique souligne l’oxymore d’une gestion maîtrisée des protocoles médicaux, de l’organisation stricte du travail et de l’effervescence individuelle liée à l’inattendu, à l’histoire intime.
Et dans le même temps, la membrane du nivellement est percée par des tentatives de maintenir un indice de soi, tandis quant tout commande à l’inverse. Des objets portent ces envies là. La gomme qui efface les erreurs, avant l’informatisation de la donnée. Le nom propre sur sa blouse que l’on rature pour ne pas être identifier dehors, pour éviter les représailles des patients furieux. Malgré les successions des couches de précautions, de mise à distance et de nouvelles normes, il est réjouissant de découvrir, que toujours, subsistent quelques traces de nos corps transpirants.
Voir le livre Tenir, caché aux Éditions Dilecta
Lire le texte de Jean-Paul Rathier "Artiste infiltré, œuvre exfiltrée" (2015)
À l’instar de ce que décrit Jeanne Favret Saada dans son ouvrage ethnologique « Les mots, la mort, les sorts », la pratique artistique d’Arnaud Théval s’articule, elle aussi, en trois temps : la prise, la déprise, la reprise.
Dans l’histoire des hôpitaux, les lieux d’accueil, les grandes galeries ou encore les anciennes chapelles accueillaient sur leurs murs les portraits des riches donateurs, des grands magistrats de la ville et des grands médecins. Hautement révélateur de la puissance à l’œuvre, ces portraits confirmaient à tous un ordre des choses, allant la bonté du notable à la célébration d’une figure incontournable. La proposition Tenir, caché (les portraits) propose une inversion de ce paradigme en replaçant au centre physique et symbolique du CHU, des images de l’art concernant des personnes y travaillant et la communauté des usagers. Il s’agit de lire ici, la force de l’incorporation dans les corps d’une gestuelle professionnelle et de leurs emprises sur la relation au collègue, avec en arrière plan l’histoire de leur relation avec le patient.
Lire le texte de Christian Ruby, philosophe "Des yeux au-delà des portraits" (2017)
En somme, l’artiste propose une scène hospitalière de l’égalité où des performances hétérogènes ont droit aux mêmes places et se combinent. Il entreprend la dissolution des individualités assignées et pratique l’excès des œuvres installées dans tout l’hôpital, afin qu’on n’arrive plus à fixer une échelle hiérarchique... Dès lors, face à ces œuvres, le patient de l’hôpital est appelé à plusieurs démarches. La première contribue à son devenir spectateur, à la mise à l’écart de sa condition de malade, du moins momentanément. La seconde fait alors droit à un exercice esthétique qui transforme les modes sensibles dominants à l’hôpital. La troisième se confronte à ce que ces compétences peuvent produire dans le contexte auquel il est non moins momentanément lié. Une nouvelle aventure lui est inspirée, celle de partager avec les personnels une histoire hospitalière à s’approprier en y prenant part.